EP 1 : BRISTOL FOODTRUCK PARTY

C'est déjà la troisième fois qu'Antigone se rend à la Foodtruck Party depuis son lancement, un fait qui tend à devenir une habitude alors que chacun de ces stands manque de la faire défaillir d'envie. Comme la première fois, elle déambule entre les allées sans trop savoir ce qu'elle cherche, se contentant de suivre les odeurs et l'air réjoui des personnes qui ont déjà pu récupérer leurs commande avant de se décider, ayant de toute façon tout son temps. Si elle a à peine vu son mari ce matin, submergée par une nouvelle vague de fatigue avant d'avoir pu échanger plus que quelques mots avec lui, elle sait qu'il ne pourra pas la rejoindre, retenu dans son cabinet par une affaire dont elle ignore tout mais qui semble réclamer une attention considérable. Elle aurait pourtant aimé qu'il soit plus disponible, qu'il délaisse un peu son travail pour passer plus de temps en sa compagnie, mais elle ne peut pas lui imposer ça. Elle sait tous les sacrifices qu'il a pu faire pour elle au cours des dernières années, sait aussi qu'il lui faudra en faire bien d'autres dans les mois à venir et lorsque le bébé sera là, mais c'est plus fort qu'elle. Elle voudrait qu'ils aient le choix, que Thomas puisse être plus libre, mais cela semble incompatible avec ses obligations professionnelles et au sein de Vox Populi. Si la chose l'attriste, le kimchi dog pour lequel elle finit par opter a au moins le mérite de contribuer à lui remonter le moral et à l'aider à oublier sa déception. Elle observe sa confection, hissée sur la pointe des pieds et une main posée sur un ventre qui commence doucement à s'arrondir, attendant avec une impatience croissante le moment où elle pourra enfin le goûter. Elle a faim, tout le temps ou presque en ce moment, mais son appétit se coupe en voyant apparaître Cillian dans son champ de vision. Elle déglutit, règle sa commande et la récupère en un seul grand mouvement, puis s'élance à la suite de l'ancien amant d'Alice. Cillian ! Elle fend la foule en prenant garde à ne rien renverser de son hot dog, répétant le nom du jeune homme une seconde fois alors qu'il semble ne pas l'avoir entendue. Elle le rattrape finalement, pose une main sur son épaule et, le souffle court, resserre sa prise. Il faut qu'on parle. Elle n'a plus cette jovialité qu'elle avait pu lui offrir lors de leur précédente entrevue, mais bien des choses ont changé depuis...

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Elle ne s'attendait pas à le croiser dans un lieu pareil mais il faut croire que l'univers s'est chargé de retrouvailles auxquelles Antigone n'avait pu se résoudre par elle même. Elle aurait eu envie de frapper à sa porte après le récit d'Alice mais n'en avait d'abord pas eu le temps, puis le courage, et la chose lui avait semblé de plus en plus dérisoire au fil des mois. Elle n'en avait rien accepté, rien digéré, mais il lui aurait semblé étrange de s'en mêler s'y longtemps après en frappant à sa porte pour le confronter à un comportement appartenant désormais au passé. Mais l'occasion se présente et Antigone n'a pas d'autre choix que de s'y soumettre. Elle l'appelle puis le rejoint, fendant la foule en veillant à ne pas perdre de vue, puis pose une main sur son épaule pour lui signifier sa présence. Le regard qu'il lui offre en retour, de ceux qui semblent intimer l'ordre de reculer, ne l'impressionne guère et elle la laisse là où elle est, teste les limites de sa patience et de la menace qui semble couver entre eux. C'est ce qui arrive quand on sort de sa tanière. On côtoie des gens et on leur parle. Elle réduit leur interaction à si peu, mais la chaleur de leur précédent échange a depuis longtemps disparu. Elle ne se souvient pas vraiment de ce qu'elle avait pu lui dire et lui raconter, mais se souvient de cet air triste qui était le sien et qui lui avait fait se faire la promesse intérieure qu'elle trouverait un moyen de l'aider à aller mieux. Elle s'y serait d'ailleurs tenue s'il n'avait pas tout gâché avec Alice, mais il la prend de vitesse à évoquer sa grossesse et sa détermination fond, un peu. Oui, je ne pensais pas que tu l'aurais remarqué. Elle baisse les yeux vers son ventre, doucement tendu sous le tissu de sa robe, et retire sa main de l'épaule de Cillian pour l'y poser. Elle se sent enfin entière, enfin apaisée, mais se reprend avant que cet état de félicité nouvelle ne la détourne de son idée première. Et le tien ? Tu n'as pas l'impression d'avoir été inutilement cruel avec Alice ? Elle se redresse et, comme prête à partir au combat, le défie de nier.

Le mariage n'avait pas changé grand chose à leur quotidien ni à leur relation, ce dont Remus avait presque été déçu à son retour de lune de miel, mais il lui fallait bien reconnaître qu'il n'aurait pas trop su quoi modifier tant ils avaient pu prendre leurs aises l'un avec l'autre depuis leurs retrouvailles et leur emménagement ensemble. Il avait une nouvelle bague au doigt, une alliance qu'il avait retirée pour son dernier tournage et qu'il s'était empressé de remettre une fois sa tâche terminée, et une case différente à cocher pour tous les documents administratifs qui ne manqueraient pas de lui être transmis. Il n'était plus célibataire, enfin, mais un homme marié et heureux de l'être. C'était probablement très bête au vingt-et-unième siècle, mais le mariage avait toujours fait partie de ses rêves et voilà qu'il l'avait enfin réalisé. Une épouse, une fille, un bébé à venir, ... bref une vie de famille qu'il lui fallait partager avec ses obligations en tant qu'acteur mais qui l'enchantait au plus haut point. Maintenant, avec le recul, il ne trouvait plus la démonstration d'euphorie de Tom Cruise sur le plateau d'il ne savait plus quelle émission aussi ridicule. Même sans être capable d'une chose pareille, il pouvait enfin le comprendre. Avec des années de retard, et une tolérance un peu trop développée, mais il le comprenait.
Et les voilà qui avancent dans Bristol, à la recherche d'un restaurant ayant encore une table disponible à leur proposer. Ils s'étaient mis d'accord sur la date et l'horaire de leur sortie en amoureux, s'étaient organisés pour faire garder Rose et avaient choisi un établissement qui leur avait semblé être parfait pour l'événement, oubliant seulement au passage de réserver une table qui, bien évidemment, n'avait pas été libre lorsqu'ils s'y étaient présentés un peu plus tôt. Qu'à cela ne tienne, les voilà repartis, errant dans les ruelles comme deux ados énamourés à la recherche d'un plan B qui tarde à se présenter, jusqu'à ce qu'une odeur n'arrive jusqu'à eux. Je suis pas sûr que ce soit une bonne idée... Il le dit en y mettant les formes pour ne pas braquer Maggie tout de suite, elle qui serait capable de le dévorer tout cru en un instant, mais Remus est convaincu que les odeurs qui s'échappent des foodtrucks du festival, aussi alléchantes soient elles, ne conviennent pas pour une femme enceinte. Il n'est pas encore midi, il est persuadé qu'ils finiront bien par trouver un restaurant plus convenable, mais l'optimiste est ce qui finira par le perdre.


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C'est une affaire qui n'hérisse peut être plus qu'elle et dont Alice aurait toute la légitimité de lui demander de ne pas se mêler, mais son amie n'est pas là et Antigone se refuse à faire comme si cela ne l'avait pas touchée. Elle prend sûrement les choses trop à cœur, une position défendue par Thomas lorsqu'elle avait essayé de lui expliquer la situation et qu'elle avait senti le peu d'intérêt qu'il pouvait accorder à son récit, mais c'est plus fort qu'elle. Le temps n'y a rien changé ou presque, ajoutant seulement une part de regrets lorsqu'il lui avait fallu se rendre à l'évidence et accepter qu'il était trop tard pour qu'elle s'en mêle et réclame justice pour un crime resté impuni. Tu sors, mais je doute que tu fasses vraiment attention aux gens autour de toi. C'est l'impression qu'il lui donne, celle d'être enfermé dans une bulle dont il refuse l'accès à ses semblables, préférant rester dans ses pensées plutôt qu'adresser la parole à un inconnu et s'ouvrir un peu à un monde dont il était si longtemps resté coupé en prison. Partant de là, elle s'étonne de le voir si attentif à elle et à son état, remarquant une grossesse pour l'heure bien discrète et dont elle n'aurait pas imaginé lui parler s'il n'avait pas avancé le sujet le premier. Ce bébé représente un espoir pour elle, un espoir autant qu'un aboutissement, et elle se refuse à ce que qui que soit en ternisse la célébration. Elle accueille ses félicitations avec un visage fermé, bien éloigné de celui qu'elle avait pu lui offrir dans le pub, et ne lui laisse aucun répit avant d'en venir au sujet qui l'intéresse. Alice. Ce n'était peut être pas utile de t'en servir comme d'une insulte alors. Ce n'est pas le mot en lui même qui la dérange, elle sait qu'Alice a entendu bien pire au cours de sa vie, mais le fait que ce soit Cillian qui s'en soit servi pour la blesser et y était arrivé. Les mots, Thomas a eu tout le loisir de le lui faire comprendre, peuvent être des armes autant que des baumes, tout dépend de qui les emploie. Et c'est ce que tu as fait avec moi, n'est ce pas ? Ce soir là, tu as essayé de m'attendrir et je suis tombée dans le panneau. J'ai cru que tu avais besoin d'aide, que tu avais besoin d'une amie, et je me suis trompée. Tu as passé tant de temps à me mettre en garde contre ta famille que je n'avais pas compris que tu parlais de toi à travers elle. Elle n'a rien contre les Costigan et avait reçu ses avertissements sans leur accorder plus d'attention qu'à ces légendes urbaines dont le monde se nourrit. Elle savait que le clan pouvait être dangereux mais n'avait jamais fait l'erreur de confondre les individus le constituant et ceux à son sommet. A croire qu'elle avait fait l'erreur de sous estimer Cillian et sa position au sein du groupe, trop attachée à lui faire confiance pour le voir sous son vrai jour. Ca a toujours été son plus gros défaut, ce trop plein de confiance qu'elle accorde au premier regard sans se poser la question de savoir si cela peut être mérité ou non. C'est comme ça qu'elle s'est laissée aveugler par la détresse qu'elle pouvait lire en lui et par l'innocence de ce petit garçon qui s'arrête à côté d'elle, non pas pour lui offrir un sourire comme Oona peut souvent le faire à des inconnus, mais pour s'essuyer ses mains pleines de ketchup contre le bas de sa robe. Antigone n'a pas le temps de l'interrompre que le mal est déjà fait, l'enfant reparti, et les larges fleurs qui décoraient le tissu lui apparaissent désormais comme ensanglantées.